Je vais la visiter tous les deux jours environ.
Je la regarde, allongée sur ce lit depuis tant de semaines, que j’en ai perdu le fil.
Son visage et ses mains sont gonflés, ses yeux sont fatigués, sa jambe attaquée par un vilain microbe, dans un piètre état. Son corps qui a tant lutté ces dernières années et plus encore ces derniers mois est constellé de tâches brunes, sa peau toute fine marquant à chaque frottement trop appuyé.
Elle est l’ombre d’elle-même.
Elle me demande quand elle va rentrer, déplore de sa petite voix chevrotante le manque de goût de la nourriture, le bruit qui émane de certaines chambrées et qui l’empêche de dormir, le manque de lumière dans la chambre.
Je l’écoute, je lui caresse la main, le front, parfois les joues. Je donnerai tout pour la serrer contre moi à nouveau.
Mais je l’avoue, la voir ainsi m’arrache les tripes.
Elle me manque, infiniment et je sais au fond de mon cœur que plus rien ne sera jamais comme avant.
La petite fille en moi combat la tristesse, le vide, l’espace béant qu’elle laisse.
Égoïstement, je l’écris, je n’étais pas prête à cela. Je vais même vous faire une confidence, du haut de mes 42 printemps, je l’ai toujours pensée éternelle. Je viens seulement de toucher du doigt qu’il nous reste si peu ensemble. Si peu de confidences, de sourires, de fêtes de famille, de partage, à rire, à se dire, à échanger.
Lorsque le médecin nous a dit qu’il fallait nous préparer, je n’ai d’abord pas entendu. J’étais dans un déni protecteur. Je me suis voilée la face, j’ai protégé la petite fille. Je combats les souvenirs et les « après ». Ils n’existent pas pour le moment. Nous sommes dans l’instant, nous nous attachons à des taux auxquels nous ne comprenons pas tout mais dont savons qu’ils ne peuvent pas dépasser une certaine limite, synonyme de fin.
Une fin que je sais désormais inéluctable mais à laquelle je ne me résoudrais jamais.
Nous nous sommes rapprochés tous. Nous nous appelons plus souvent, nous nous voyons régulièrement, dans ce lieu honni, l’hôpital et à l’extérieur. Elle est notre préoccupation, notre sujet de conversation, notre tout.
Demain est peut être un autre jour…