Se choisir

Je me demande toujours si le travail, mon travail, m’a choisie ou bien si c’est moi, mue par un ensemble d’éléments, qui l’ai choisi.

J’ai eu l’occasion de l’écrire ici, ma maman, avant de rencontrer mon père était travailleur social. Avant son changement d’orientation, elle avait réussi un concours pour travailler au Ministère de la Justice. J’ai été bercée par ses récits, par ses projections aussi, ses espoirs et ses regrets de n’avoir pas continué dans le domaine.

J’ai débuté ma carrière en contrat aidé. Je ne m’en félicite pas et ma retraite en sera altérée, néanmoins ces 6 années de précarité puis les 6 suivantes en CDD m’ont permis de me connecter à une réalité, celle de toutes les personnes que j’aurai à accompagner ensuite, pour les 13 années à suivre.

Une de mes responsables de service m’a souvent répété qu’il n’était pas nécessaire d’avoir vécu pour comprendre. Aujourd’hui, je suis intimement convaincue du contraire. Je n’aurai pas accompagné de la même manière si je n’avais pas vécu l’attente, l’anxiété, les labyrinthes administratifs, les débuts et les fins de mois difficiles, les relations tendues avec Pôle Emploi, la dévalorisation, la perte de confiance… Je savais.

Depuis le début de ma carrière donc, j’ai le sentiment d’évoluer dans des contextes difficiles et plus je vieillis, plus ils me semblent tendus. Dégradation des conditions de travail, manque de moyens, absurdités administratives, chefs qui ne savent pas cheffer, egos surdimensionnés qu’il faut supporter et parfois accompagner, équipes exsangues mais pourtant toujours sur le pont.

Je suis une personne tranquille, qui a besoin de stabilité, d’un environnement calme et protecteur. Je n’ai jamais travaillé dans ces conditions.

Pourquoi alors ?

Inconsciemment et certainement pour poursuivre les rêves de ma mère dans un premier temps, pour me trouver ensuite et pour me « réparer ». C’était au début. Néanmoins, je me pose toujours la question.

Du stress, des conditions de travail qui me sont difficiles : open space, bureaux partagés et jamais fixes pour accueillir mes candidats, tâches administratives toujours plus lourdes, injonctions contradictoires, temps qui manque.

La description n’est pas reluisante et ne donne pas envie.

Ce que j’aime infiniment, c’est le sentiment d’être utile. Lorsque j’écoute, lorsque j’aide à faire le tri dans des idées, des projets parfois emmêlés, lorsque je donne des conseils pour mener à bien sa recherche d’emploi, lorsque je renvoie du positif, lorsque j’accueille les larmes, la colère, la détresse ou la joie.

C’est ce qui me fait tenir…. et vibrer.

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Entrer dans la danse

J’ai vu  cette offre et j’ai pensé immédiatement qu’elle était faite pour moi.

En deux temps trois mouvements j’ai fait ma lettre, ajusté mon CV et j’ai envoyé le tout.

Quelques jours après j’ai regretté.

La peur.

La peur de quitter le connu (même pesant) pour une grosse machine de guerre, la peur de quitter mon équipe (même pesante) pour une grande équipe inconnue, la peur de délaisser mes connaissances, mes mécanismes, mes habitudes…

Puis le doute s’est insinué un peu plus chaque jour. Il a envahit tous mes pores, avant même que je sache si j’allais être retenue pour un entretien.

J’ai pris le parti de parler à ma peur, de faire avec elle, de la légitimer et j’ai pratiqué à haute dose l’EFT, j’en ai appelé à l’univers aussi.

Puis le coup de fil est arrivé, celui qui dit que tu es retenue et que ta compétence et ton parcours sont reconnus pour ce type de poste.

YEAAAAAAH

Et tandis que j’aurais du me réjouir, j’ai flétri.

Questionnements, remises en question. La totale. Je suis tellement forte en questionnements négatifs, en dénigrement. Je me suis préparée un tout petit peu, tellement incapable de me concentrer.

L’entretien, contre toute attente, s’est plutôt bien passé.

Parfois, l’avenir nous appelle et on est incapable de lui répondre.

Mais pour une fois, j’aimerais beaucoup prendre ce train là…

 

Bilan

Miss tic la Butte aux Cailles

Miss tic la Butte aux Cailles

Un mois que j’occupe mon nouveau poste.

Déjà.

Le temps file incroyablement.

J’ai rencontré chacun de mes collègues individuellement, j’ai fait un point sur nos outils, notre « démarche », j’en ai tiré des objectifs et un plan d’action à faire valider par Vénérable Directrice pour amorcer l’année, sur de nouvelles bases je le souhaite.

Cette prise de poste me demande beaucoup de travail, ce qui est naturel. J’étais loin, cependant, d’imaginer une telle somme de travail, un tel investissement.

Je me retrouve confrontée au stress de mes débuts : le besoin de planifier, de tout maitriser rapidement pour me rassurer, avoir des résultats significatifs rapidement. Car bien sûr être exposée, n’est pas tout à fait anodin.

Depuis un mois, je vois où est ma compétence et où sont mes limites tant techniques qu’humaines.

Si je n’ai pas à manager mes collègues directement, j’ai à animer et piloter des actions et projets dans lesquels ils sont directement investis.

Comme à mes débuts, je mets la barre haute, à mes dépends parfois.

Je touche avec ce nouveau poste, ce qui s’est toujours joué pour moi. Réussir. Comme une revanche.

J’ai toujours rêvé faire de brillantes études, Sciences Po, pour être exacte. Je me rêvais dans la politique (un rêve vous-dis je) ou dans un poste prestigieux intellectuellement.  Je me voulais cultivée et « intelligente ». C’est mon métier qui m’a fait comprendre à quel point tout cela est un brin superficiel, c’est aussi ma réalité, qui m’a fait reprendre contact avec la réalité.

En effet, j’ai toujours été une élève relativement moyenne, j’ai toujours dû étudier deux fois plus que les autres pour atteindre des résultats « corrects ». Je ne suis pas aussi cultivée que je le souhaiterais, j’ai abandonné certaines aspirations (et rendu ma carte de parti…) et ce n’est qu’après 10 longues années de terrain que j’ai franchi le Rubicon.

Lâcher du lest, me traiter en bienveillance, ne pas me laisser envahir par des demandes que ma fonction ne me permet pas de traiter, renvoyer chacun à ses responsabilités individuelles et collectives, tel est l’enjeu.

Je touche du doigt parfois, un sentiment proche de la jouissance, parce que je m’éclate. Je réfléchis, je crée, j’avance. Puis à d’autres moments, je suis proche du désespoir. Nos objectifs, dans le contexte actuel, me semble intenables et hypocrites. Nous faisons face, où que nous soyons sur le terrain à une crise, celle que vivent les entreprises et au désarroi de nos candidats. Lesquels sont de plus en plus éloignés de l’emploi, de plus en plus abîmés par la recherche, par ce que renvoient les institutions.

Œuvrer dans le secteur de l’emploi aujourd’hui est un leurre.

Des femmes…

Qui n’ont jamais travaillé et qui sont prêtes à faire n’importe quoi

Qui ont un CV long comme le bras mais qui sont « trop vieilles »

Qui n’ont jamais travaillé mais qui doivent s’y mettre pour (sur)vivre

Qui savent « tout » faire

Qui ne « savent pas faire grand chose »

Qui viennent accompagnées par une copine, un enfant, un mari, une sœur (pour traduire, pour soutenir, pour écouter, pour contrôler)

Qui vivent seules et qui ne s’en plaignent pas

Qui sont célibataires et qui en crèvent

Qui ont été mariées au bled (plus ou moins de force)

Qui ont suivi leur mari

Qui ont besoin d’aide pour un CV, pour une lettre, pour trouver une formation, pour travailler « dans deux mois, dernier délai » ou  « après les vacances d’été, ce sera bien »

Qui ont besoin de soutien parce que la famille n’est pas d’accord qu’elles fassent (ENFIN) quelque chose pour elle, parce qu’elles savent que ce sera dur et que la recherche d’emploi, ce n’est plus comme il y a 5 ou 10 ans (oui !)

Qui ont besoin de venir pleurer dans le bureau, qui ont besoin d’être écoutées parce que c’est impossible ailleurs : à cause des enfants, à cause du mari qu’il ne faut pas inquiéter, parce qu’elles sont seules.

Qui ont besoin de rire, de partager, parce qu’il semble que ce ne peut être avec personne d’autre que nous…

Qui ont oublié de s’habiller (correctement), de se peigner, se maquiller (et rarement) de se laver

Qui sont apprêtées comme pour un rencart

Qui ont une énergie folle, débordante, dont on sait qu’elle sera un formidable moteur

Qui ont des images d’elles tellement dépréciée que cela transperce le cœur

Qui pensent qu’elles ne valent rien, que personne ne voudra d’elles

Qui ont un ego tellement surdimensionné que ça frise le risible

Qui travaillent d’arrache-pied, prennent un voire deux boulots, reprennent des études, se lèvent aux aurores

Pendant que le mari lui aussi se tue à la tâche, ou bien pendant qu’il glande devant la TV

Pour nourrir 2, 3, 4 ou 5 bouches, pour payer le dernier portable à la mode au petit dernier, pour qu’on ne se moque pas des enfants à l’école, pour qu’ils aient tout « comme les autres »

Certaines cherchent chez moi une méthode, du cadre, une écoute attentive et bienveillante, que je les booste

Certaines autres voient en moi une accompagnatrice, un partenaire, l’image d’une amie et parfois (à la marge), celle d’une ennemie

Mais toutes, et chacune à sa manière, terriblement attachantes…

ColèreS et incompréhensionS

Pour lutter contre le chômage et faire reculer la précarité, « on » a décidé d’augmenter les minima sociaux.

A une demande d’emploi, de statut social, de reconnaissance de ses compétences et plus largement de son être, « on » oppose des miettes (Car, il faudra que l’on m’explique comment « on » fait pour vivre avec 470 euros/mois). Des miettes que l’on va augmenter certes, mais des miettes quand même.

Je disais donc, que pour lutter ACTIVEMENT contre le chômage, c’est la réponse financière que l’on a trouvé.

« On » a pas décidé de donner plus de moyens à Pôle emploi pour faire un accompagnement RÉEL (si tu sais comment on gère un portefeuille de 250 personnes à voir 20 min tous les 3 mois, n’hésites pas à éclairer ma lanterne sur cette insoluble équation).

« On » a pas décidé de cesser de financer à fond perdu des formations qui mènent directement des étudiants à remplir les files anonymes de Pôle emploi.

« On » a pas décidé de mettre le paquet sur la formation tout au long de la vie (quelle vaste fumisterie tiens ça encore !), « on » a pas décidé de s’attacher aux catégories intermédiaires qui voient la formation comme une nébuleuse inatteignable, « on » a pas décidé non plus de forcer (un peu) les entreprises à mettre le paquet sur la professionnalisation de leurs salariés.

« On » a pas décidé non plus de sécuriser les parcours de salariés en souffrance dans les entreprises.

« On » a pas décidé de donner les moyens à toutes les autres structures qui accompagnent vers l’emploi (parce que sans déconner, y a pas que Pôle emploi dans la vie).

« On » a pas demandé aux plus gros recruteurs en France (à savoir les associations et les PME/PMI) de se mettre autour de la table ensemble et de réfléchir à des métiers émergents. Créer ensemble, avant que tous les emplois qualifiés filent vers les pays étrangers, c’est possible quand même non ?

Non, la seule solution que l’on a trouvé, c’est augmenter les minima sociaux…

 

Sortir les mots

Je les bouscule.

Quand je les questionne.

Avec mes réponses, avec mes propositions, dans les actions que je leur présente.

Quand je les reconnecte au réel.

A la question « Parlez moi de vous », ils ne savent que répondre tant ils ont une image dépréciée d’eux même.

A l’énoncé (un brin raidissant) « Décrivez moi votre parcours professionnel », ils se tassent, bafouillent, se rembrunissent.

Lorsque je demande « Quelles sont vos compétences », ils hésitent car ils sont intimement persuadés qu’ils ne savent plus faire.

Au piégeur, « Vous pouvez me donner quelques unes de vos qualités » : blanc, silence gêné.

Quand enfin j’arrive au « Décrivez moi une journée de travail ». Certains s’animent dans cette replongée de ce qui a été et qui n’est plus : un statut social, une utilité, la fierté du travail accompli, le sentiment d’appartenance à un groupe, la culture d’entreprise. D’autres au contraire s’écroulent. Il faut faire le deuil d’un emploi apprécié qu’on ne pratiquera plus.

Je les bouscule, avec mes exigences, mes attentes, mon regard parfois sans concession.

L’essentiel de mon travail consiste en cela aujourd’hui : revaloriser, redonner confiance, réinjecter sans cesse du positif, rassurer.

Il arrive (la plupart du temps) que le meilleur en sorte : un emploi retrouvé, une formation à suivre, des avancées personnelles.

Et de temps en temps, la perche que j’ai lancée se brise…