Un chapitre

Dans mes ateliers, je demande aux personnes que j’accompagne de construire leur ligne de vie professionnelle et de la découper en chapitres.

C’est un outil que je trouve puissant et qui permet de visualiser beaucoup de choses et donc de conscientiser le chemin parcouru.

Ce soir, je me suis retrouvée en présence d’un acteur de l’un des chapitres de mon parcours professionnel. Peut être pas le plus important mais indéniablement le plus affectif.

Le 1er chapitre de ma vie professionnelle, concerne mon expérience en emploi jeune en quartier prioritaire. Cela correspond à une deuxième naissance pour moi. Une entrée dans la « vraie vie », une confrontation avec un univers, des codes, des cultures éloignés, voire inconnus pour moi. C’est la période dont je garde le plus de souvenirs, doux, malgré les difficultés.

J’ai noué au cours de ces années une relation « privilégiée » avec un loulou de quartier. Un meneur, dur mais au grand cœur. Ponctuellement, depuis ces 10 dernières années, nous nous sommes recroisés. Et toujours pour moi avec émotion.

La première, celle de le voir devenir un homme, un professionnel, aujourd’hui un père. La seconde est de constater que la chaleur qu’il me témoigne est intacte, malgré la pudeur. Enfin, il y a toujours entre nous ce je ne sais quoi… je me hasarderai à évoquer de l’affection.

Il fallait me voir avec mes croyances, mes certitudes, mes peurs et mes maladresses face à ces adolescents, évoluant pour la plupart dans des univers de précarité. Nous parlions deux langues différentes. Ce qui pour moi était parfois difficile, notamment dans les processus de groupes. Lui sans jamais prendre franchement fait et cause pour moi, cela l’aurait décrédibiliser, ne s’opposait jamais frontalement et souvent lorsque les orages étaient passés, venait me voir en solo. J’ai appris d’eux, j’ai appris infiniment de lui.

Ce grand gaillard respecté, craint par certains adultes et pourtant si attachant. J’ai gardé, précieusement ses cadeaux ramenés de Tunisie, témoignages de cet ineffable, de ce qui se crée mais ne se dit pas.

Ce soir et grâce à lui, j’ai replongé dans certains souvenirs et dans ce qui pour moi a été déterminant dans mes choix professionnels : « travailler avec l’autre », dans la relation.

La liste des émotions

# La colère

Elle me pousse à revenir écrire ici. Je la connais bien, c’est, je crois l’émotion qui m’habite le plus et depuis toujours. J’y travaille bien sûr mais elle est aussi pour moi un indicateur, une alerte, que j’écoute en certaines circonstances. Elle vient me dire l’insupportable, le trop, le non gérable.

Actuellement, mes sources de colère sont nombreuses. Parmi celles ci, il y a l’inflation immobilière dans la grande ville dans laquelle je travaille. La surenchère bétonnière me rend folle. Chaque espace de la ville, jadis si belle, à taille humaine, offrant de jolies vues sur le paysage alentour est vérolé par les immeubles de plus en plus nombreux. Il faut chercher les espaces de verdure, lesquels ne sont d’ailleurs pas entretenus.

Je me demande comment on peut ainsi penser la ville et je déplore les projets qui sont portés par la municipalité qui ne correspondent en rien à ce que je me représente de la ville de demain, agréable à vivre, écologique, facilitant le vivre ensemble et les déplacements. Le visage qu’elle offre aujourd’hui est déformé, saturé, je le regrette. Je ne m’y que très rarement pour mes loisirs,  car tout est compliqué, du parkage jusqu’à la circulation piétonnière en passant par des lieux de vie « calmes », propices à la détente, à l’échange.

Mon autre sujet de colère est la violence. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours travaillé dans des quartiers nommés « Z » (zup, zep…) en 20 ans, j’ai travaillé dans 3 villes dans le top ten des villes et quartiers les plus violentes et précaires de France. Pour autant, je me suis toujours trouvée relativement protégée et j’ai évolué dans ces espaces sans peur. Mais voilà qu’en l’espace de quinze jours, 2 de mes collègues et 2 usagères des services dans lesquels je travaille ont été agressées, avec violence. Malgré moi, la méfiance et une forme de peur s’installent. Je fais attention lors de mes arrivées et départs, je ne me gare plus n’importe où et je regarde beaucoup l’environnement pour savoir qui est dans les parages. On nous a « conseillé » de retirer nos bijoux et de ne pas être dans de l’ostentatoire. L’ostentatoire en ces périodes de chaleur signifiant la manière dont nous les femmes nous nous habillons.

Ceci me met profondément en colère. Car je le pose ici et sans entrer dans le détail, la population féminine ces 10 dernières années a énormément changé dans ces quartiers. Alors quoi ? Faut il que je gomme qui je suis, que je me méfie au motif que je suis une femme ???? La question est posée et elle est effrayante et alarmante.

# L’amour

L’amour infini que je porte à mes parents, mon mari, ma famille, mes filleuls, mes cousines. Un amour inconditionnel qui porte, fait rayonner, qui étouffe parfois, qui questionne souvent. Mais qui est  essentiel. Chacun des êtres auxquels je pense en écrivant ces lignes a fait de moi la personne que je suis, m’a fait grandir, évoluer, m’a rendue meilleure.

Je crois et je le dis peu finalement, que j’aime la vie. Une vraie chienne parfois, qui m’a égratignée souvent. A plusieurs reprises j’ai voulu la quitter, m’effacer. Mais aujourd’hui et malgré des difficultés tenaces, j’éprouve de la gratitude pour ce qu’elle m’a offert, pour ceux et celles qu’elle a mis sur ma route, pour les étapes heureuses de ma vie que je ne regrette pas.

# L’espoir

J’ai l’espoir d’une vie meilleure pour toutes les personnes dans la souffrance, pour les populations en état de guerre.

J’ai l’espoir d’une société qui change, évolue positivement, laissant plus de place à l’être qu’à l’avoir, plus de place à l’écologie qu’au capitalisme.

J’ai l’espoir de vivre un jour avec mon Népou, à la campagne dans une jolie petite maison (de 90 m2 avec terrasse….)

# La haine

C’est un sentiment qui a été très fort chez moi adolescente. La haine de la famille surtout, la haine envers le système scolaire. Il m’a quittée lorsque j’ai commencé à travailler, à devenir plus indépendante et forte, lorsque j’ai eu la possibilité de choisir.

# La joie

J’éprouve de la joie dans la nature avec laquelle je me sens de plus en plus connectée, que je recherche de plus en plus par ailleurs. J’éprouve de la joie à observer la nature, à la respirer, la humer.

Et puis je ressens beaucoup de joies liées à la culture. La découverte d’un auteur, d’un livre, me retrouver dans une salle de spectacle, face à une scène. Tout cela me fait éprouver de la joie.

J’ai des joies professionnelles. Lorsque la personne accompagnée abouti à son projet.

# La peur

J’ai évoqué certaines peurs plus haut. Celle qui revient de plus en plus en ce moment c’est la peur de la mort, d’une certaine personne, celle de mes parents aussi, celle de ceux que j’aime.

Et ma peur la plus forte (en dehors des araignées et des papillons de nuit géants) c’est la peur de vieillir seule…

# La surprise

Devant la nouveauté, devant ce que l’autre offre intentionnellement ou pas, devant ce que la vie pose de joyeux et d’inattendu sur ma route.

# La tristesse

Mes tristesses sont nombreuses et surtout liées à des relations amicales et familiales qui ne sont plus, sans que je sache exactement pourquoi.

Le tunnel

La période est compliquée, c’est vrai.

J’ai l’impression d’entrer dans un long tunnel et que l’énergie que je dois déployer pour en venir à bout est incommensurable.

Dans mes rares souvenirs d’adolescence, les choses ne se passaient pas trop mal. Ce n’était pas très heureux mais pas difficile non plus.  J’étais heureuse de grandir même si j’ai très tôt eu des formes et que très tôt ces formes m’ont fait passée pour bien plus âgée que je n’étais. Les règles, les seins, mes hanches, ma taille étaient une manière d’accéder à « autre chose ». Bien sûr, il y avait déjà des questions de poids. A 13 ans j’entamais un régime drastique. Mais rien d’aussi remuant, bouleversant, « dedans comme dehors »

Tout ce que je traverse en ce moment, le tunnel donc, m’égratigne, réveille de vieilles blessures, m’empêche de dormir, m’irrite.

J’ai le sentiment, au propre comme a figuré de changer de peau. Car je change de peau… Mes cheveux aussi changent. Cette mue est un peu cruelle. La peau sèche, irritée, assoiffée, terne. Pareil pour les cheveux, mes cheveux que j’aime tant et pour lesquels je nourris une certaine passion (ça reste entre nous bien sûr !)

Le reste ? Il est immense.

La colère est revenue m’habiter (m’a t elle jamais quittée seulement ?). Celle qui me met en rogne devant les incohérences de ce monde, devant les conventions à la noix, les faux semblants, les règles. J’ai envie de décoller les étiquettes. La gentille, la consensuelle, la « cadrée ». J’ai envie d’exploser les moules. Professionnels notamment. Les incompétences, les hypocrisies, les paroles vides me lassent.

Ma mère ne me « reconnaît » pas, une de mes amies m’a dit que je manquais de « rondeurs dans mes relations », un comble (si tu me suis un peu tu vas hurler de rire) ! Ces remarques m’agacent, me blessent. Quand faudra-t-il cesser de s’excuser, d’être qui on a envie d’être ?

L’adolescence nous fait rentrer dans le vif de la vie. Tout est ouvert, tout est permis, tout est à créer. Aujourd’hui et avec le recul, je regarde toutes les limites, les barrières que je me suis mises ou imposées, tout ce que je rêvais de faire et que je n’ai pas fait. Par crainte, peur, manque de confiance. J’ai des regrets… Beaucoup de regrets.

J’entre dans la deuxième période de ma vie. Et elle me dévore de l’intérieur.

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Aout !

En aout,

La vie est passée à la vitesse de l’éclair, comme pour me rappeler que chaque seconde est  follement précieuse.

J’ai recruté, négocié, parlementé puis renégocié et re-parlementé.

J’ai bu des bières, encore, en (trop) grande quantité (encore).

Professionnellement et à l’image de ces derniers mois, j’ai passé l’été la tête sous l’eau.

De la fraicheur adolescente est venue secouer notre quotidien pour quelques petits jours et pour notre plus grand bonheur.

Des déceptions familiales, comme une pluie acide sur le cœur.

Alice Cooper présente sa candidature aux élections aux States. Nous on a Nico… On a les candidats qu’on mérite !

J’ai pleuré avec les handballeuses françaises pendant les J.O. et sur les commentaires sexistes des commentateurs sportifs, à la désarmante crasse intellectuelle.

J’ai pris la mesure de l’urgence : à dire, à vivre, à construire, à aimer et à s’en foutre.

J’ai appris ce qu’est le Kairos et  je crois pouvoir dire que je suis en plein dedans.

J’ai stoppé net ma came quotidienne, dans la douleur.

J’ai vu passé par la fenêtre de mon bureau tous les objets suivants : bouteilles de bière (vides et pleines), vêtements déchirés, basket orpheline, moitié de pastèque, pain, eau, pâtes et MEUBLE ; jeté par la fenêtre de mes voisins. Voui parfaitement (on vit dans un monde merveilleux).

J’ai eu chaud, hyper-super-trop chaud et j’ai rêvé chaque jour de la terre de mes ancêtres (Gnnnnnniiiiiii).

Je me suis demandée (et me le demande encore) comment on peut chasser des bestioles virtuelles.

J’ai survécu au chien du voisin, à la moto du voisin et à la voix de poissonnière de la mère du voisin (un magnifique été disais-je).

Je me suis étranglée sur une polémique, liée à un maillot de bain qui n’en n’est pas un, devenue grande cause sarkozienne. Vivement l’hiver qu’on cause anorakini….

J’ai attendu mes vacances comme on attend le messie, d’ailleurs c’est maintenant : HIHA !!!!!!

 

 

1/ Les odeurs

La crème de calmille d’Yves Rocher que ma maman s’appliquait le soir avant le coucher

La terrasse fumante de la maison après la pluie, l’été

Les effluves émanant de la cuisine de mon père

L’herbe coupée du pré de la maison de mon enfance

Loulou, le parfum de mes années adolescentes

La peau de mon Népou

Le pain d’épices au moment de Noël

La mer aux heures les plus matutinales

Le café chaud du matin

La pipe de mon père

 

 

 

 

Le livre coup de coeur de ma rentrée

Mokaa un talent certain pour donner envie de lire des livres. Aussi, je la remercie de m’avoir poussée vers Kéthévane Davrichewy et son livre « Les séparées ».

LES SÉPARÉES - Kéthévane DAVRICHEWY

J’ai découvert l’auteur à travers ses livres jeunesse, lorsque je travaillais en CDI en collège. Une belle découverte, une écriture tout en finesse et en subtilité. Une caresse de mots en somme.  J’avais beaucoup aimé sans jamais y revenir néanmoins.

Et puis le résumé de ce livre m’a donné envie de renouer avec elle.

Alice et Cécile se comprennent sans se parler, sont le miroir l’une de l’autre, elles tissent un lien qui reste inaltérable dans les épreuves, elles ont l’une pour l’autre une présence absolue.

Jusqu’à la douloureuse rupture.

De très bons résumés se trouvent sur le net et sur le livre, aussi je n’en dirai pas plus.

J’ai aimé ce livre parce qu’il évoque une histoire d’amitié universelle, forte, exclusive. Une de ces amitiés d’adolescence, fusionnelle, qui te marque pour de longues années.

Pour avoir vécu ce type d’expérience, je me suis retrouvée à bien des égards dans ce livre que j’ai lu d’une traite, la gorge nouée et souvent la larme à l’œil.

Ce livre dit l’amour dans l’amitié, il dit les premières grandes fois à deux, il dit les émotions fortes des rencontres, des lectures, de la poésie, de la musique. Il montre l’étrange processus de l’adolescence qui permet de se construire en puisant dans l’autre cette amie, sœur, voire même âme sœur.