
Puissance & Magie

Je cherche les secondes, celles qui me sont offertes pour me reconnecter à moi, pour me poser, me reposer. Elles sont rares, elles se cachent dans les interstices…
J’aime tant le silence de la campagne le dimanche matin, avoir ce sentiment qu’elle n’appartient qu’à moi, que nous faisons corps. Tout est cadeau. Les couleurs chatoyantes, les envols d’étourneaux, le ciel qui laisse passer de furtifs rayons de soleil. La vie est là, dans cet instant, parfait.
J’aime ces instants où tout s’efface. La perspective de la semaine à venir, chargée, compliquée sur certains sujets, les visites dans cet innommable CHU, le stress associé.
Le dimanche plus rien n’existe. Pas de mots prononcés, peu de bruits. Juste le temps qui s’égraine et me qui me laisse le loisir de me reconnecter aux petites choses. Infimes et belles.
Le syndrome de glissement (en anglais sliding syndrome) est une décompensation rapide de l’état général, faisant suite à une affection aiguë qui est en voie de guérison et qui parait guérir. La personne semble refuser inconsciemment de vivre.
Nous en sommes là. Dans cet entre deux, sur la ligne ténue qui marque la séparation entre le vie et la mort. C’est un temps suspendu où chaque jour est une lutte contre la montre. Nous scrutons chaque verre d’eau bu, chaque cuillère à soupe avalée, chaque taux (et ils sont nombreux). Nous emmagasinons les moments, les secondes, les paroles prononcées, les sourires, les gestes.
Le médecin nous a dit, très pudiquement de « nous préparer ». Je ne le suis pas, je ne le serai sans doute jamais. Chaque jour est un jour gagné même si j’ai conscience qu’elle ne le souhaite pas. Continuer à vivre, comme ça, dans son lit, sans voir le soleil qui se lève, sans voir les arbres de son jardin, avec des jeunes femmes, plus jeunes qui moi qui l’aident pour tout. Se lever, s’habiller, se laver, aller au toilettes.
Je pense sans cesse à ce temps avec elle et à ce que sera notre vie, ma vie, sans elle. Cet après. Elle ne cesse de me dire qu’il faut que je profite. Mange (notre grand sujet commun) ! Sors ! Voyage ! Elle me rappelle chaque jour, de vivre, intensément.
Ce que ni elle ni moi n’avons fait jusque là…
Pour aller bosser. Retrouver mes collègues, accompagner, avancer sur des projets, faire des bilans d’accompagnement, essayer de me faire entendre, aller me confronter, apprendre, me dépasser parfois.
En ce moment, je suis réveillée entre 4 h 43 pour être précise et 5 h 15. Invariablement, à quelques minutes près. J’ai des valoches sous les yeux, une tête de déterrée. L’insomnie devient année après année une vieille compagne.
Je me lève pour contribuer mais parfois je ne sais plus, parfois je ne comprends plus et je désespère.