Je suis une femme d’hiver.
J’aime le froid qui saisit le corps et les joues, j’aime dormir ensevelie sous une tonne de couverture, boire du thé fumant à longueur de journée, prendre des bains , porter des chaussures fermées qui cachent mes pieds, des foulards, des chapeaux. J’aime les nuits fraîches qui favorisent le rêve. La chaleur m’anesthésie, me fatigue.
La violence qui a traversé tout le mois de juin me laisse dubitative. La violence intérieure, au niveau national, une violence meurtrière à l’échelle européenne, celle enfin à nos frontières et celle enfin qui a touché Orlando . La folie des hommes, pour un Dieu, une idée, me glace. J’ai peur de perdre une certaine innocence, j’ai peur de m’habituer, de renoncer. J’ai envie de continuer à flâner dans les rues parisiennes, sans craindre qu’une bombe explose dans une gare ou une station de métro. J’espère de tout cœur pouvoir retourner à Istanbul pour montrer cette belle capitale à mon Népou. J’ai le sentiment douloureux que notre vieille Europe s’essouffle, que les rêves d’hier ne sont que de lointains mirages qui se cognent à la bêtise et à la cupidité. Pourquoi est-il si compliqué de vivre ensemble ? N’est-il pas possible de s’unir autour d’autres valeurs que celles économiques… ?
En juin, j’ai beaucoup photographié, regardé, flâné. Je découvre une nouvelle joie, hors de celle des mots. Celle de regarder, considérer, apprivoiser. C’est si bon de prendre le temps de regarder, respirer l’air d’une place, d’un jardin, d’un quartier.
En juin, mes parents ont tous deux eu des accidents de santé. Un accident cardiaque pour l’une et une opération pour l’autre. Comme à chaque fois qu’ils sont diminués, la réalité vient me saisir. Me revient en conscience qu’ils deviennent vieux et qu’ils vont mourir, que je serai seule pour porter tout cela, que la vie est parfois affreusement cruelle, elle arrive sur la pointe des pieds sans frapper. Ma mère est partie en toute vitesse aux urgences, agitant sa main,, sans un mot. Je me suis dit qu’elle pourrait mourir, sans que nous nous soyons dit le plus important…
En juin, une nouvelle fois, je me suis retrouvée seule au travail. Ma collègue étant prolongée de semaine en semaine. Bien sûr elle n’est pas remplacée… et je suis contrainte d’abattre le travail de deux personnes et de retomber dans mes anciens schémas. Je n’ai fait que cela. Partir, travailler, manger, travailler, rentrer pour m’écrouler. Pauvre vie sociale, insatisfaction professionnelle. Je travaille mécaniquement, sans conscience, en réalisant un travail superficiel. Je n’apprends rien, sinon que je suis capable, oui capable de tenir seule. Que me réserve cet emploi, comment les prochains mois vont-ils se dérouler ? Les restrictions budgétaires qui nous assaillent sont des plus anxiogènes. Comment rassurer lorsque soi même on tangue, on doute, on subit une forme de malmenance….
En juin, il y a eu l’annonce de la rééducation maxillaire et enfin j’entrevois la fin de mes affreuses souffrances et la perspective d’une opération.
En juin, la colère est revenue ravagée mon intérieur. La colère contre la famille qui a toujours su si bien trouver le chemin de notre maison lorsqu’elle avait besoin. Mais qui n’a pas su se montrer présente lorsque mes parents étaient au plus mal. La colère contre mon Népou de ne pas être plus investi dans sa recherche d’emploi et de nous imposer un rythme de vie éreintant. La colère contre moi, placée dans l’attente, l’attente qui me renvoie à l’enfance invariablement. Attente des parents, des amis, des hommes, de mon Népou…. Je suis dans une forme d’attentisme, impossible de me réveillée tant la fatigue a investi tous les pores de mon corps.
Vivement l’automne….