Elle a 30 ans et en fait dix de moins.
Ses grands cheveux barrent son visage et pour nous parler, elle ne prend pas toujours la peine de les relever. Dommage, car ils cachent ses grands yeux.
Elle s’habille avec des vêtements très amples, baggy, toujours des baskets, toujours des tee shirts longs pour faire taire les nombreux tatouages qui peuplent ses bras et crient sa vie, ses croyances, ses attaches .
Son expérience est mince, des boulots par ci par là, trouvés par sa propre mère. Il y a près de 10 ans.
Une semaine après l’avoir rencontrée, elle était au boulot, une aubaine, un miracle. Certes, un contrat aidé, mais un CDD malgré tout.
Un bonheur pour elle. Celui de pouvoir dire à son enfant que Maman va gagner sa vie, Maman travaille comme les autres Mamans de l’école, Maman existe (enfin).
Car c’est une maman, c’est la première chose qu’elle dit d’elle. Son enfant est sa fierté, sa raison de vivre, son tout. Il y a bien eu le géniteur, un bref passage, puis un papa de cœur qui est parti. C’est cela qui l’a poussée à chercher du travail.
Les premières semaines se passent bien. Très bien. Les compétences sont là, elle tient les cadences, elle est précise, autonome sur son poste de travail. Les cheveux sont rangés dans une grande queue de cheval.
Un mois plus tard, l’employeur note de nombreuses absences, non justifiées, des frottements avec des membres de l’équipe. Elle s’énerve, s’irrite, pleure. On lui donne sa chance malgré tout, on passe l’éponge, car elle est moteur dans l’équipe.
Cinq mois plus tard, c’est la dégringolade, il faut la changer de poste, l’équipe ne la supporte plus, pas plus que son encadrant technique. On repart comme en 14, tout se passe pour le mieux. Elle est contente, plus apaisée, elle envisage l’avenir.
Puis rebelote. Elle n’arrive plus à l’heure, n’honore pas les RDV, ne va pas en formation, s’accroche avec ses collègues.
Aujourd’hui c’était le bilan final de ces quelques mois chaotiques, des mois où nous n’avons jamais cessé d’être présents et d’y croire. D’y croire plus qu’elle.
Alors que je dressais le tableau des constats, que je renvoyais à sa responsabilité, que je questionnais sur ce qui l’animait et sur ces multiples sabordages, elle a pleuré.
Elle a pleuré en silence, de grosses larmes qui perlaient sur ses joues rebondies d’enfant, son regard implorait. Et finalement les mots sont sortis. Comme des plaintes, un lointain cri.
Le manque de reconnaissance, d’amour de soi, de confiance. La peur. De se lancer, de changer de vie, de réussir.
Elle m’a touchée bien sûr. Car ses mots, douloureux, pénétrants auraient pu être les miens. Je suis du bon côté de la barrière, j’ai un emploi, c’est vrai mais le doute est perpétuel chez moi, la confiance s’effrite souvent. J’ai malgré moi un réel besoin de reconnaissance, de la part de mes pairs (et de mes impairs…), de ma hiérarchie. Enfin, le besoin d’amour ne m’a jamais quittée. Aujourd’hui encore, il y a en moi cette enfant qui lutte pour panser ses plaies.
Mon job, c’est de poser le cadre, les règles, de ramener à la réalité. Pour autant, mon enfant intérieur a rencontré le sien…
Il est fou de constater que l’image que l’on renvoie de nous-même dans nos vies, nos boulots, le change que l’on donne ne reflète pas toujours ce qui est au fond de nous.
Ces femmes fortes que nous semblons être, ces femmes qui « savent » ne sont au fond que des enfants qui tremblent de peur.
Enfin je crois…..
C’est exactement ce que je vous lais dire ici.
Douces pensées Anne